Carmen Boullosa Duerme : l'eau des lacs du temps jadis. - L'Atalante, 1997.
Quel
rapport, a priori, entre le Mexique de la conquête espagnole et notre
bon vieux Plateau ? Aucun, sinon, le personnage principal de ce court
roman de Carmen Boullosa. Entrevue déjà dans Eux les vaches, nous les porcs,
Claire de Fleurcy est une autre Lu, enfant de putain et brièvement
putain elle-même, s'habillant en homme et bien décidée à changer de vie
en venant en Amérique en compagnie de pirates français. Enlevée alors
qu'elle se trouve à Mexico, elle est destinée à être secrètement
substituée sur la potence à un noble en disgrâce. Mais une servante
indienne verse dans ses veines "l'eau des lacs du temps jadis", une eau
miraculeuse qui la rend immortelle mais fait également d'elle une autre
Belle au bois dormant pour peu qu'elle s'éloigne de la ville. Et c'est
tout, ou presque, sinon qu'elle mettra à elle seule une armée indienne
en déroute, aimera une belle actrice italienne et en sera aimée et
s'endormira pour 25 ans sous la garde d'un poète amoureux, tandis que
s'agite autour d'elle un Mexique en proie au chaos des commencements,
entre la ruine d'une communauté indienne naguère florissante et toute
pleine d'une magie inconnue des chrétiens et l'avidité fanatique et
cruelle de ces derniers. Héroïne picaresque malgré elle, le plus souvent
absente à elle-même et jouissant, au fond, de cette absence, Claire se
retrouve ballottée entre ces deux mondes au fil fluctuant d'identités
imposées selon les besoins de l'une ou l'autre des factions dont elle
est le jouet. Ainsi, d'un personnage potentiellement pourvu de toutes
les qualités qui font un bon roman d'aventures, Carmen Boullosa
fait-elle une héroïne étonnamment involontaire, au prix d'un paradoxe
qui ravirait notre Lulu et me fait regretter de ne pas l'avoir prénommée
Claire.
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