jeudi 29 janvier 2015

Atlas des îles abandonnées

Judith Schalansky Atlas des îles abandonnées. - Arthaud.

Il est des livres qui sont des déclencheurs d'imaginaire. Les atlas y ont leur part. Qui, devant leurs cartes bariolées, n'a jamais rêvé d'expéditions lointaines, de haute mer et de cargos, de lentes caravanes cheminant à travers montagnes et déserts ? Pamir, Samarcande, Paramaribo... Qui pour résister à la magie des noms, répandus sur la page comme un sac de graines dont chacune contiendrait une légende ? Mais combien pour savoir d'avance qu'on ne trouvera pas ce qu'on cherche ? Que les seules taches blanches sur la peau du monde sont désormais celles des camping-cars du tourisme organisé, planifié, tarifé et qu'en parvenant à Machu Picchu, on a bien plus de chances de tomber sur un car de vieux en goguette que sur l'esprit de l'Inca. Les ultimes aventuriers seront donc des voyageurs en chambre, selon la définition qu'en donnait Mac Orlan dans son Petit manuel du parfait aventurier. Ce livre est fait pour eux. Il recense une cinquantaine d'îles parmi les plus inhospitalières du monde, îlots battus par les tempêtes, tas de cailloux sans la moindre végétation, à l'écart de toutes les routes maritimes... Et s'il donne bien quelques indications sur leur localisation, l'histoire de leur découverte et de leur éventuel peuplement, il privilégie surtout la légende. Une anecdote significative évoque bien mieux la désolation que n'importe quelle donnée géographique. On retrouve quelques noms connus, comme l'Île de Pâques ou cette Île Pitcairn où trouvèrent refuge les mutinés de la Bounty. D'autres le sont beaucoup moins, comme Saint Kilda, au large des Hébrides où, jusqu'à la fin du XIXe siècle, les deux-tiers des nouveaux-nés mouraient d'un mal mystérieux, ou bien Christmas, au nord-ouest de l'Australie où, chaque année en novembre, 120 millions de crabes rouges prennent le chemin de la mer et se font décimer en route par les fourmis folles jaunes réunies en supercolonie. Et l'on mesure combien facilement l'île peut tourner à la prison, combien l'isolement devient propice à toutes les folies, des plus utopiques aux plus meurtrières et combien, finalement, on n'est pas si mal que ça dans son canapé. L'auteur ne cite pas ses sources et c'est tant mieux, au fond. Libre à ceux qui le veulent de prolonger leur lecture en faisant leurs propres recherches. Quant aux autres, la tête pleine de rêves, ils refermeront ce livre et le rangeront près des albums de François Place et des merveilleux Manuscrits d'Imago Sekoya.
Un mot sur la forme : écrivain et designer, Judith Schalansky a reçu pour ce livre le Prix du plus beau livre allemand en 2009, et c'est justifié. Imprimé en une impeccable trichromie (noir/gris, gris bleu, orange) et rigoureusement mis en page et typographié, L'atlas des îles abandonnées n'est pas seulement un documentaire. C'est également un magnifique objet, à la limite de la bibliophilie, bien au-dessus, en tout cas, de ce qu'on a coutume de nommer "beaux livres". Seul bémol, dû sans doute à la traduction française, la préface totalement inutile d'Olivier de Kersauzon, dont le nom m'évoque plus facilement les grosses têtes de Philippe Bouvard que les 40e rugissants.

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